samedi 3 octobre 2015

Un regard historique sur l'Expédition Botanique au nouveau royaume de Grenade


Traduction du documentaire "Expedición Botánica al Nuevo Reino de Granada: la expedición que aun no ha terminado". 52mn. Université Nationale de Colombie. 2012

1816. Santa Fe de Bogotá : Une longue expédition scientifique de plus de 30 ans se termine brusquement avec la violente reconquête par l'Espagne du Nouveau Royaume de Grenade, colonie qui avait conquis son indépendance six ans auparavant. On garde les trésors scientifiques collectés pendant cette expédition et on les envoie rapidement en Espagne...

Ce matériel fut archivé pendant de nombreuses années au Jardin Botanique Royal de Madrid, à côté d'autres expéditions naturelles américaines. Mais contrairement aux autres expéditions, celle du nouveau Royaume de Grenade (la Colombie d'aujourd'hui) n'est toujours pas terminée. Parmi les hommes qui l'avaient commencée, plusieurs disparurent violemment et ne purent pas la terminer. Pourtant, l'esprit original de son fondateur, le savant José Celestino Mutis, a perduré à travers plusieurs générations de scientifiques qui, deux cents ans après sa mort, cherchent à terminer son oeuvre. Quel fut le rêve poursuivi par José Celestino Mutis ? Quelle est la valeur scientifique de son expédition ? Pourquoi la majorité des scientifiques qui y ont participé, ont eu une fin tragique ?

L'expédition qui n'est pas terminée...

En 1862, le colombien José Geronimo Triana fut le premier scientifique qui chercha à terminer cette expédition, quarante-cinq ans après l'arrivée du matériel à Madrid. La curiosité de Triana pour ce trésor était née dans sa jeunesse quand il rencontra le dernier des survivants, le dessinateur Francisco Javier Matiz. Les histoires que Matiz lui racontait, ont fait naitre chez Triana le désir de voir ces trésors cachés. Après presque cinq ans de gestions diplomatiques, il réussit a entrer en contact avec une partie du matériel, composé d'exemplaires variés, des cahiers de notes, des cartes, des minéraux rares et, particulièrement, plus de six mil planches de plantes joliment illustrées : Sans aucun doute, un trésor scientifique et artistique unique au monde.

Le Jardin Botanique Royal de Madrid a gardé toutes sortes de découvertes et de richesses, récoltées par des expéditionnaires qui parcoururent le vaste empire que l'Espagne avait en Amérique entre le XVIè et le XIXè siècle. "La collection Mutis, en ce qui concerne la partie des dessins, est sans aucun doute le joyau des archives du Jardin Botanique. C'est celle qui a la plus grande qualité artistique et la plus spectaculaire"

L'objectif de ce système des expéditions était de faire un inventaire des richesses naturelles des colonies de l'Espagne."Les expéditions organisées par la couronne espagnole sont toutes très diverses, elles ont des motivations très variées et on ne peut pas les comparer". 
"L'expédition botanique  fait partie d'un projet européen d'expansion en général, nous voyons que ce n'est pas un projet isolé, l'Europe est en train de conquérir le monde entier et l'histoire naturelle est un mécanisme de conquête très puissant. Les anglais, les français, les hollandais, font des travaux semblables partout dans le monde, en fait, cela fait partie d'un projet d'ordonnancement global de toute la nature, dans un cadre de référence européen".

La grande biodiversité de la Colombie, anciennement "Nouveau Royaume de Grenade", la convertit en territoire idéal pour les projets d'expédition. Son immense faune et flore est le résultat de la variété des altitudes, des selvas et des fleuves. L'expédition botanique fut un événement d'une grande importance scientifique et historique, qui a réuni la majorité des esprits les plus brillants et illustrés de cette colonie espagnole.

Le philosophe et historien Mauricio Nieto (Universidad de Los Andes) a étudié le contexte historique et culturel qui entourait ces expéditionnaires : "Dans la seconde moitié du XVIIIè siècle, la Nouvelle Grenade compte avec un groupe de personnalités qui partagent une éducation, qui partagent une certaine position privilégiée dans la société coloniale et ils vont partager avec l'expédition, les intérêts pour l'histoire naturelle et la géographie, les thèmes importants pour la science du XVIIIè siècle. 

Ce groupe d'hommes se réunit autour de l'espagnol José Celestino Mutis, qui à l'époque, était déjà une personnalité très respectée à Santa Fe de Bogotá, capitale du Vice-Royaume. Mutis était arrivé au nouveau royaume de Grenade en 1760, pour être le médecin de la cour de Pedro Mesia de la Cerda, le nouveau vice-roi. Le long voyage par le grand fleuve de la Magdalena, principale voie fluviale du nouveau royaume de Grenade, avait laissé le jeune médecin très impressionné par l'exubérance naturelle de ces territoires.

Santiago Diaz Piedrahita, directeur de l'académie colombienne d'histoire, a fait des recherches pendant plus de 30 ans sur les documents de l'expédition botanique et la vie de Mutis : "C'était une personne très cultivée, un connaisseur approfondi de nombreux thèmes, par exemple, la minéralogie, la botanique, un peu de zoologie, la médecine, la physique, qui étaient les matières fondamentales de la formation d'un médecin, d'un scientifique de cette époque".

En 1772, Mutis entre dans les ordres. Faire partie du clergé lui a permis d'avancer plus facilement dans ses travaux scientifiques et d'avoir de bonnes relations avec les sphères du gouvernement du nouveau royaume de Granada. Mutis était inspiré par les idées de l'illustration française, qui mettait l'observation de la nature comme principale source de la connaissance. De plus, il était conscient de la possibilité d'exploiter des ressources naturelles différentes que celles de l'extraction minière. Pour atteindre cet objectif, il était nécessaire d'améliorer la connaissance des richesses du nouveau Royaume de Grenade. 

Le botaniste espagnol José Luis Fernández travaille à l'Institut de sciences naturelles de l'Université Nationale de Colombie. Depuis 23 ans, il étudie la flore tropicale d'Amérique : "La Colombie a une faune et une flore particulièrement diverse, qui était totalement inconnue quand Mutis est arrivé en Colombie. On calcule qu'il n'y avait que quatre mil espèces sudaméricaines et centraméricaines décrites à l'époque où Mutis est arrivé ici et tout était à faire. 

En 1763, il proposa son projet au roi Carlos III. Il espéra pendant longtemps le soutien économique de la couronne mais il n'obtint jamais de réponse en raison de l'indifférence des fonctionnaires espagnols qui ne considéraient pas sérieusement les propositions qui venaient des colonies. Pendant ce temps-là, Mutis travailla de nombreuses années au service du vice-royaume, dans l'exploitation des mines et l'amélioration des conditions précaires dans lesquelles on y travaillait. Parallèlement, il exerçait sa profession de médecin, dans laquelle il fit également d'importantes avancées. "Mutis est préoccupé par la formation des médecins, il veut former des médecins, il veut que l'on donne des diplômes de médecin à des étudiants de la Nouvelle Grenade".

Avec le temps, Mutis centra son intérêt scientifique sur la Botanique. Il réunit une collection respectable de spécimens, qui incluaient des descriptions et des prescriptions d'usage pour plus d'une centaine de plantes. Mais il n'avait pas de collègues avec qui partager ses avancées. Après certains contacts, il entra en communication avec l'européen doté des plus grandes connaissances botaniques : Karl Linné. "Karl Linné est le naturaliste le plus important de son époque, c'était un suédois, il eut l'idée du système de la nature, "Sistema Naturae" qui était une méthode de classement permettant d'ordonner les règnes de la nature : le règne végétal, le règne animal et le règne minéral".  Son idée de classer les espèces naturelles sur la base de caractéristiques anatomiques déterminées permit à la science de commencer une étude organisée et systématique des différents êtres vivants qui habitent la planète. "Mutis a cherché à choisir les plantes les plus étranges qui se trouvaient aux alentours de Bogotá et il lui fit un envoi de plantes, parmi elles, il y avait ce que l'on appelait alors "l'oeillet-liane" que l'on connait aujourd'hui comme "Mutisia Clematis". C'est une plante très étrange, parce qu'elle est de la famille des composées, elle n'a pas de fleurs mais des capitules qui ressemblent à des fleurs, elle a des vrilles, elle a des feuilles composées, elle a des poils sous les feuilles. C'était comme une énigme, comme un casse-tête". Voici comme en parle Linné : "Je te félicite pour ton nom immortel qui ne sera pas effacé par les siècles. Je l'appelerai MUTISIA. Jamais je n'ai vu une plante aussi étonnante". "Et ensuite, dans une autre lettre, il lui dit : "Tu es le plus grand botaniste d'Amérique", et pour Mutis, c'est très important parce que cela lui donne de la crédibilité à la cour, cela le rend célèbre, et tout le monde dit qu'il est ami de Linné, que Linné le cite dans son oeuvre, comme s'ils avaient joué, s'ils avaient été élevés ensemble, joué à la toupie ou au ballon... Alors qu'en réalité, ils ne se sont jamais vus, ils s'écrivaient des lettres en latin parce que ni Mutis ne parlait le suédois, ni Linné ne parlait l'espagnol".

Malgré la renommée scientifique croissante de Mutis, le roi d'Espagne continua à ignorer son projet d'expédition. Mutis continua ses travaux de manière indépendante. Grâce à l'achat de livres, il se maintenait au courant des avancées scientifiques en Europe. Avec ces volumes, il a formé l'une des bibliothèques les plus grandes et les plus admirées d'Amérique. Marta Fajardo de Rueda, spécialiste en art colonial du nouveau Royaume de Grenade (Université Nationale de Colombie) a suivi de près le travail de l'expédition botanique: "Le savant avait une très belle bibliothèque et qu'il enrichissait de plus en plus car il maintenait une relation directe avec les libraires qui lui apportaient d'Europe les nouveautés sur la Botanique".

Le contact avec les idées scientifiques européennes a fait de Mutis l'un des promoteurs de l'Education dans le nouveau Royaume de Grenade. Il débuta sa carrière académique comme professeur de physique et de mathématiques dans le grand collège de Notre Dame du Rosaire, la première université de Santa Fe de Bogotá. Il y rédigea des programmes académiques et des cours. Il existe en effet des documents très intéressants comme les leçons inaugurales de la chaire de mathématiques et même des choses si importantes comme la traduction  des Principia d'Isaac Newton. Alors que Mutis assumait ses tâches éducatives, médicales, minière et sacerdotale, il n'abandonnait pas le rêve de faire une expédition botanique détaillée du Nouveau Royaume de Grenade. Mais en 1782, une expédition envisagée depuis l'Europe mis en danger les rêves du savant espagnol.

Le rêve du médecin, prêtre et scientifique espagnol José Celestino Mutis de réaliser une grande expédition botanique pour faire un inventaire des richesses naturelles du Nouveau Royaume de Grenade était en danger après 20 ans d'attente. Des universitaires de Madrid avec qui Mutis n'avait pas de bonnes relations, recommandèrent au roi d'autoriser qu'une mission de scientifiques allemands organise une expédition dans cette colonie. Tout semblait perdu pour Mutis mais la chance inclina la balance de son côté : Carlos III nomma comme vice-roi du Nouveau Royaume de Grenade l'archevêque Antonio Caballero y Góngora, ami personnel de Mutis. Le nouveau vice-roi fit valoir devant le roi que ce projet devait être porté par un espagnol et il finança de sa poche le début de l'expédition de Mutis. Ensuite, la couronne dota Mutis de 2000 doublons d'or, une grosse somme avec laquelle, à l'époque, on pouvait acheter plusieurs propriétés et des animaux.

En septembre 1783, après avoir attendu 20 ans, José Celestino Mutis commença son grand projet. Il avait alors 51 ans. Il choisit d'implanter le siège de son expédition à Mariquita, village de la zone centrale du territoire colombien. "D'un point de vue logistique, il était très proche de Honda, près de Santa Fe, près de Cartagena, près de La Havane, de Popayan et la Plata, de Quito : Bref, c'était un lieu qui réunissait une série de conditions très favorables, de végétation, de faune, de sols". 

Les explorateurs de Mutis commencèrent à parcourir les épaisses frondaisons naturelles qui entouraient le village. "A l'époque de Mutis, on faisait appel à des auxiliaires ou à des herboristes qui étaient des personnes avec une bonne capacité d'observation, à qui on enseignait à chercher les plantes les plus remarquables et qui connaissaient les noms par lesquelles on distinguait ces plantes dans la région". "Je crois qu'il est très important de souligner que les voyageurs pouvaient difficilement découvrir une espèce dans la selva et qu'ils pouvaient difficilement reconnaitre les plantes et leur utilité simplement en marchant dans les bois, il est très clair que tous les voyageurs de l'illustration, particulièrement Mutis, ont bénéficié du soutien de guides et d'une grande gamme de connaissances locales". L'activité des herboristes était infatigable. Ils parcoururent une grande quantité de fleuves, de falaises, de bois et de landes. Bien qu'ils aient recueilli la majeure partie des plantes dans la région de Mariquita, il y a des registres de spécimens qui furent recueillis dans les sommets de la Cordillère Centrale, à plus de 4000m d'altitude.

La majorité des espèces que l'expédition a réuni n'étaient pas connues par la science à l'époque. Tous les spécimens de végétaux cueillis par les herboristes arrivaient au siège de l'expédition . La fraicheur du matériel était conservée pour que les dessinateurs réalisent leur tâche. "Quand les herboristes arrivaient avec les plantes, on devait les mettre dans un lieu humide pour qu'elles gardent leur fraicheur. Les peintres désignés choisissaient celles qu'ils devaient peindre et ils commençaient par un travail laborieux de composition, puis le dessin, et plus tard, il serait procédé à l'enluminure, c'est à dire à la colorisation". 

Dès le départ, l'intérêt principal de Mutis fut d'élaborer des planches qui représenteraient chaque plante avec une grande précision pour que les botanistes européens puissent faire des analyses scientifiques à partir de cette image. "On considérait que plus le dessin était réaliste, plus il recelait d'informations, l'information la plus parfaite sur les plantes".

Petit à petit, des collaborateurs rejoignirent l'expédition. En plus de la botanique, ils apportèrent leurs connaissances dans des champs divers. L'un deux fut le franciscain Fray Diego Garcia, spécialiste en zoologie. Fray Diego présenta à Mutis un jeune de 14 ans : Francisco Javier Matiz.
"Matiz est un personnage très intéressant car c'est une personne avec une habileté innée pour le dessin. Sa méticulosité était d'une précision, d'une exactitude énorme. Il est lié très tôt à l'expédition". Le travail des dessinateurs était très délimité. Les plus expérimentés réalisaient les planches en couleur alors que les apprentis, comme Matiz, se limitaient à calquer les planches en noir et blanc, et à concevoir des dessins qui seraient ensuite colorés par leurs maitres. Dans l'atelier des dessinateurs, le jeune Matiz se faisait remarquer par son esprit rebelle, il s'échappait constamment de la maison de l'expédition pour se promener dans le village. "Il aimait jouer au billard et aux cartes. Il y a même eu un moment où ils ont pensé qu'il fallait l'attacher à la table pour qu'il obéisse". A plusieurs reprises, Mutis chatia Matiz à cause de son comportement et parce qu'il avait réalisé des missions qui ne lui avaient pas été confiées, comme coloriser les planches. Ce travail était interdit aux apprentis, à cause du coût des peintures apportées d'Europe. Malgré les châtiments, l'entêtement de Matiz fructifia : il cessa rapidement de faire des copies et commença à illustrer des planches à pleine couleur. Mutis était émerveillé par les avancées du jeune dessinateur. Il expliqua :"Je me dédiai ensuite à la très agréable occupation d'enregistrer toutes les planches travaillées par le jeune Matiz. J'eus la satisfaction de les voir toutes très bien travaillées. Ainsi donc, ce nouveau dessinateur promet et ses planches ne sont pas inférieures à celles de ses maitres". "Contrairement aux autres qui avaient été au collège, qui parlaient français et comprenaient le latin, et qui lisaient beaucoup, Matiz est un botaniste empirique, construit sur la praxis". Grace à sa vivacité et à la connaissance qu'il avait de la région, Matiz recueillit d'intéressants spécimens de plantes vivantes et de curiosités comme des écorces et des roches.




Ahora si estan unidos el nuevo y el viejo mundo.
Y solo estan dividos por un viejo mar profundo.

Maintenant, oui, ils sont unis le nouveau et le vieux monde. 
Et ils ne sont divisés que par une vieille mer profonde.


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